L’homme est un orchestre à lui seul : journaliste, musicien, chansonnier, écrivain, et acteur. Philippe Val quitte avec Cabu la Grosse Bertha en 1992. Dans la foulée ils refondent avec Gébé et Renaud la version moderne de Charlie Hebdo. Val en devient peu à peu le chef d’orchestre, directeur de la rédaction et de la publication à la mort de Gébé en 2004. Dernièrement en visite dans nos contrées pour clôturer le concours de caricatures « Le libre examen en question », organisé par l’ULB, il livre ses impressions sur la liberté de la presse, l’élection présidentielle française, l’avenir du droit à la satire et à la caricature.
Dans une interview « tac au tac » donnée à L’Express en 2005, on lui demandait à quelle figure historique il aurait aimé ressembler, sa réponse est sans équivoque : « Zola quand il prend la défense de Dreyfus ». Comme il l’a montré lors du procès des caricatures de Charlie Hebdo, Philippe Val possède ce côté combatif du journaliste indépendant, en perpétuelle quête de vérité et de justice. Pour rien au monde, il ne renoncerait aux acquis de la profession : « Je me sens combatif et je pense que je ne me laisserais pas faire si le journal était en danger. C’est quelque chose d’instinctif chez moi, je suis prêt à défendre et faire progresser la liberté d’expression ». Son journal jouit en France d’une liberté de ton presque unique qui tend à disparaître. Ce pouvoir, acquis et renforcé au fil du temps, et de quelques procès, est précieux et autorise l’équipe de Charlie à exercer un journalisme humoristique mais néanmoins informatif et déontologique.
Du soutien de Sarkozy lors du procès des caricatures, Val se réjouit qu’ils aient quelques principes fondamentaux en commun. « Seuls les extrémistes et les anti-démocrates ne les partagent pas » précise ce combattant de longue date de l’extrême droite. Il pense que le nouveau Président « ne touchera pas au fonctionnement de la liberté d’expression en France ». Espiègle et un brin provocateur, il n’oublie pas que si jamais le besoin s’en fait sentir, Sarkozy lui a envoyé une lettre dans laquelle il fait une déclaration solennelle sur ce sujet. La pièce à conviction(s) est en lieu sûr, au cas où…
Mais « ce n’est pas ce qui menace la liberté de l’information, la réelle menace est davantage la concentration des médias dans les mains d’industriels qui passent des marchés avec l’Etat et ont des relations privilégiées avec le pouvoir ». Là se situe le vrai problème qui « ne va pas s’arranger dans les années qui viennent ».
L’élection de Sarkozy ? Une faiblesse conceptuelle de la gauche
Sur la campagne des médias lors de la présidentielle, il consent que « la réglementation CSA qui donne le même temps de parole aux candidats a été respectée ». Il fait l’impasse sur le cas de France 24, chaîne d’information rappelée à l’ordre par le CSA. Mais il n’omet pas de souligner que « Sarkozy a davantage de sympathie dans les rédactions des médias et il aurait été élu à une majorité encore plus écrasante si les rédactions avaient été les seules à voter ». Le vainqueur dit-il n’a pas caché son jeu, il a tenu « un discours franchement de droite et les gens ont voté pour ça ». Comment vit-il dès lors ce résultat ? « Pour moi, en tant qu’homme de gauche c’est un échec. Je pense que les pauvres ont voté pour les riches, c’est triste ». Les résultats ne tiennent pas seulement à la force du candidat de l’UMP mais « surtout dans la faiblesse conceptuelle de la gauche ».
Philippe Val, tel Don Quichotte en croisade contre les moulins de la censure, reste un homme de conviction, persuadé en son for intérieur de la nécessité pour une société d’avoir un regard critique sur elle même, ses croyances, ses aspirations. Bec et ongles, il défendra toujours le droit à la caricature, à la satire. Car un dessin, qui déclenche le rire même sur un sujet délicat, parle souvent plus que tous les discours. Et le rire, salvateur, prouve que la caricature reste un art subtil et subversif de la réflexion.