Enki Bilal vient de mettre le point final à un projet débuté il y a douze années. Avec « Quatre ? », dernier volet suivant « Le Sommeil du Monstre », « 32 Décembre » et « Rendez-vous à Paris », ses personnages se retrouvent individuellement et collectivement après une quête qui aura tenu en haleine ses nombreux lecteurs.
L’histoire débute en 2026. Nike Hatzfeld, 33 ans, se rappelle les premiers jours de son existence. Né en 1996, dans une Yougoslavie qui éclate avec la guerre, il atterit dans un hôpital de Sarajevo. Il y fait la rencontre d’Amir et de Leyla, orphelins comme lui. Une promesse fait alors basculer son destin : il leur jure de les retrouver et de les protéger toujours. 2026 est une époque sombre pour la planète. Les démocraties du monde entier sont menacées par les obscurantisme religieux et un certain Optus Warhole, incarnation du Mal suprême.
L’idée, le projet a de quoi déstabiliser le lecteur. En mettant en scène trois orphelins des Balkans, Bilal propose une mélange ethnique à l’image de ce qu’était la Yougoslavie. Dans « Le Sommeil du Monstre », volet le plut violent, terrifiant, il crée un obscurantisme religieux issu des trois monothéismes. Celui-ci déclare la guerre au reste du monde. Beaucoup y ont vu une prédiction du 11 septembre. L’événement a été pour le dessinateur « la validation de ses obsessions ». Il en est ressorti « horrifié sur le plan humain mais soulagé sur le plan artistique ». Pour lui « il y a eu le travail d’avant le 11 septembre et celui d’après. Il est intéressant de voir le temps interférer sur sa propre création ».
Une vision du monde éclairant passé, présent et avenir
Optus Warhole, personnage du « Sommeil du Monstre » malmène la planète, il s’autoproclame « incarnation du mal absolu ». Dans « 32 Décembre », il se mue en artiste du Mal suprême capable de dupliquer les êtres humains et de jouer avec eux. Ses sujets d’expérience favoris : le trio d’orphelins. En partant de l’inhumanité du monde et de certain de ses acteurs, Bilal tend au fil de son œuvre vers une humanisation progressive des personnages. Quand ils se rejoignent finalement dans « Quatre », le groupe retrouve son identité mais les individus qui le composent sont enfin eux-mêmes : des êtres humains.
Le travail de ce dessinateur à part : une réflexion sur notre société à travers des prismes comme la mémoire, la religion, la politique, la violence, l’éloge des différences. Notre début de siècle « marqué par l’obscurantisme religieux », se révèle comme une période de régression : « Desproges ou Coluche ne pourraient pas exister aujourd’hui » dit-il avec regret. Ses livres témoignent d’un travail graphique exceptionnel, à base de peinture. En utilisant l’imaginaire, il nous parle de notre société d’hier, d’aujourd’hui et de celle que nous préparons. L’anticipation de notre futur, et les possibilités qu’elle autorise, permet de mieux éclairer le présent. L’auteur nous met en garde contre toute forme de dérive politique, religieuse, médicale ou économique. Il délivre un message de tolérance, d’ouverture sur les différences, un monde où toutes les formes de barrières entre individus seraient oubliées.
Quatre? , Enki Bilal, Casterman, 62 pages, 13,95 euros
Dessin: crédit Casterman et Enki Bilal